Gestion du changement ou transformation organisationnelle? Un article de Bernadette Petitpas
Gestion du changement ou transformation organisationnelle? La réponse semble parfois évidente, mais elle ne l’est pas. Il faut dire que ces termes ont longtemps été utilisés comme s’ils étaient synonymes. Pourquoi vouloir distinguer ces deux concepts? Parce que leur ampleur et leurs impacts ne seront pas les mêmes pour l’organisation. Et parce que pour être en mesure de trouver les solutions les plus appropriées et intégrées, encore faut-il bien comprendre le problème, et donc avoir répondu aux bonnes questions. Sinon, l’on peut avoir de fort bonnes réponses… mais elles n’auront pas d’effet, et pourraient même nuire.
LES ORIGINES DE LA GESTION DU CHANGEMENT
À l’origine, dans les années 1960, l’on s’inspira du processus du deuil[1] pour constater que les entreprises faisant face à un changement passaient à travers les mêmes étapes que les endeuillés. Toute une industrie naquit dès les années 1980, dans le but d’aider les organisations et les employés à s’adapter. Les changements dont il était alors question étaient, par exemple, liés à des processus, qu’ils soient internes ou externes, ou à des outils. L’adaptation s’attardait donc essentiellement aux tâches à exécuter et aux compétences à maîtriser en vue de la réalité désirée, post-changement.
S’il existe de nombreux modèles et bien des méthodes, ils ont en commun une approche axée sur des objectifs, des livrables et donc des dates et des mesures de performance. La communication est un outil de transfert d’information, et l’engagement des équipes est vu comme une résultante des habiletés de gestion de leur leader. La culture et l’engagement sont perçus comme difficilement influençables et mesurables. Il faut dire que la notion de gestion du changement a pris son envol principalement en lien avec des questions de changement technologique, incluant les systèmes complexes d’information de gestion.
LES LIMITES DES APPROCHES TRADITIONNELLES ET DE POSSIBLES SOLUTIONS
Si les efforts, y compris financiers, voués à la gestion du changement ont considérablement augmenté, le pourcentage des initiatives échouant à livrer les résultats attendus demeuraient obstinément autour des deux tiers. S’en sont suivies des évolutions en vertu desquelles on a cherché à intégrer des approches Lean et Agile à la gestion du changement.
Elles n’ont cependant pas remis en question certains présupposés ou habitudes susceptibles d’être un frein au succès, comme la tendance naturelle des équipes à travailler en silo ou encore la vision descendante, qui ne permettent pas de prendre en compte la réalité de l’ensemble de l’entreprise.
Pour permettre une approche plus intégrée à tous les niveaux et augmenter les chances de succès du changement visé, il est important de mettre encore plus l’accent sur les éléments suivants :
Le pourquoi (le fameux Why de Simon Sinek), incluant la mission, la vision, les valeurs, le modèle d’affaires. Les approches traditionnelles se basent principalement sur des arguments opérationnels et pas nécessairement stratégiques, alors que l’on sait désormais que les équipes ont besoin de sens, et donc de voir plus large, pour se mobiliser autour d’un projet.
Avec qui, donc l’ensemble des parties prenantes autant internes qu’externes, notamment l’impact que le changement aura pour chacune d’entre elles. La gestion du changement traditionnelle a tendance à adopter une vision fonctionnelle et essentiellement tournée vers l’interne.
Le comment, pour tenir compte des variations, des fluctuations et de l’imprévu, des risques et des opportunités qui se présentent de façon plus ou moins aléatoire. En effet si la gestion des projets de changement détecte certains risques internes propres aux projets de même que les fameuses demandes de changement, il y a rarement une volonté claire et concertée d’adopter une vision d’affaires globale. On se concentre sur un horizon relativement court dans le temps, et sur une portée limitée au projet en lui-même.
Ce sont justement les points précédents qui entraînent une réelle transformation et un alignement complet des organisations, car ils placent le changement dans une perspective plus globale, plus humaine et plus stratégique.
LA GESTION DU CHANGEMENT AU SERVICE D’UNE TRANSFORMATION INTÉGRÉE
De notre point de vue, la transformation repose sur une approche intégrée, qui demande à l’organisation de penser plus haut, de voir plus large et de rêver plus loin[2]. Bien sûr, pour que tout ceci soit créateur de valeur il faut aussi, ensuite, élaborer des plans d’action, les concrétiser, les ajuster ou les réinventer selon le contexte. La gestion du changement est alors au service d’une transformation et non en lien avec un projet d’amélioration continue ne remettant en cause aucun des aspects fondamentaux d’une organisation.
Concrètement qu’est-ce que cela veut dire? Quels sont les éléments qui nous permettront de distinguer la gestion du changement de la transformation organisationnelle?
APPLICATIONS CONCRÈTES
Imaginons une organisation qui, pour accroître son efficacité, entend implanter un progiciel de gestion intégrée (ou ERP dans la langue de Shakespeare).
Si le projet est vu comme un changement dont il faut assurer la gestion, l’objet du projet sera par exemple de remplacer les fonctionnalités actuellement offertes par les outils utilisés (ex. : Excel, logiciel X…) et à ajouter quelques facilités de production de rapport. Il n’y a pas de remise en cause de ce qu’on fait, ni du pourquoi, de la nécessité ou du lien avec l’évolution de l’entreprise. Le questionnement porte sur manière de mieux faire ce qui se fait déjà. Il s’agira donc d’une recherche d’optimisation de l’existant. Si certains processus sont revus, ce sera le plus souvent pour s’adapter aux contraintes du système. Et les approches auprès des utilisateurs viseront généralement à assurer une compréhension de la manière d’effectuer les tâches avec les nouveaux outils et à appuyer une conformité aux nouveaux usages.
Le même projet abordé dans l’optique d’une transformation organisationnelle différera de la situation précédente sur plusieurs points. Ainsi :
L’on s’interrogera tout d’abord sur les besoins d’affaires – au sens large – de l’organisation, et sur les informations de gestion nécessaires pour prendre de bonnes décisions. Le choix de la solution sera basé sur la capacité d’y apporter une réponse suffisante. De quoi l’organisation a-t-elle besoin pour appuyer l’atteinte de ses objectifs stratégiques et opérationnels? Les façons de voir et de faire actuelles sont-elles encore les bonnes? Sinon y en a-t-il de meilleures, qui mènent par exemple à des initiatives de redéploiement, voire de renouvellement[3]. Est-il pertinent de revoir la culture organisationnelle, la gouvernance, ou encore la façon de concevoir l’expérience client et l’expérience employé pour assurer un meilleur alignement de l’ensemble et mieux propulser l’organisation?
C’est seulement après avoir redéfini la question, avoir trouvé différentes réponses, et sélectionné celle qui convient le mieux, que l’on peut établir une destination puis les plans, moyens, processus, compétences, etc. nécessaires pour arriver à bon port dans les temps, compte tenu des récifs, des écueils, du climat et de toutes les bonnes et moins bonnes surprises qui sont susceptibles de survenir.
Pour revenir à notre exemple… Imaginons une société de services informatiques. Actuellement ses activités sont exclusivement axées sur la fourniture de services-conseils. Dans le cadre de l’exercice, elle réfléchit à ses axes de développement stratégiques, qui incluent la création ou l’achat d’une filiale dédiée à la conception et à la vente de produits, et la possibilité d’offrir aux clients une sauvegarde de leurs données dans le nuage.
Le système de gestion doit donc notamment tenir compte de sous-secteurs d’une même industrie, les TI, des meilleures pratiques de gestion (structure corporative, management) et de gestion des ressources humaines, qui varient selon les contextes. Il y a également plusieurs possibilités en termes de pratiques comptables, ainsi que des impacts considérables du choix des entrepôts de données sur le degré de confidentialité des données hébergées selon le pays « hôte ». Et, au-delà des enjeux auxquels l’organisation veut apporter des réponses à ses clients, par quoi veut-elle se démarquer (incluant les valeurs, la culture, le modèle et les pratiques d’affaires)? Une fois les assises établies, il est temps de s’attarder à tout ce qui sera le début d’un programme menant aux résultats visés, en tenant compte de tous ces facteurs de succès que nous rappelle la littérature[4].
QUESTIONS À SE POSER POUR PASSER À UNE LOGIQUE DE TRANSFORMATION
Si on veut regarder la démarche comme une transformation, voici quelques questions à considérer pour analyser stratégiquement la situation :
Pourquoi l’organisation existe-t-elle? Que souhaite-t-elle apporter à ses clients? À quels enjeux veut-elle répondre? Les réponses s’appliqueront-elles encore dans 18 mois? Dans trois ans?
De quoi est composé notre écosystème? Quelles sont les interdépendances? Avec qui voulons-nous et devrions-nous collaborer? Comment voulons-nous contribuer à notre communauté?
Et si on n’avait pas peur, que rêverions-nous de réaliser? S’il n’y avait pas de contraintes, à quoi ressemblerait notre succès? Et compte tenu de ce que nous savons, de nos possibilités et de nos contraintes, que pourrions-nous réaliser? Et puisqu’il y aura des surprises, des bonnes comme des moins bonnes, comment allons-nous nous donner la marge de manœuvre nécessaire pour faire face aux difficultés et saisir les opportunités?
Compte tenu des réponses à ce qui précède, quels sont nos réels besoins? Quels sont les facteurs clés qui assureront notre réussite? Comment cela doit-il se refléter dans les initiatives que nous mettrons en place? Dans leur niveau de priorité?
CONCLUSION
Qu’il s’agisse d’un changement ou d’une transformation organisationnelle, l’essentiel est de s’assurer que l’on a bien défini les besoins et objectifs, puis assuré un alignement approprié avec les moyens qui seront mis en œuvre pour atteindre les résultats visés. La gestion du changement n’est ni meilleure ni moins importante que la mise en œuvre d’une transformation. Chacune répond à des impératifs qui lui sont propres.
Et si l’on vise des résultats qui se répercutent durablement sur l’ensemble de l’organisation, en appui à la réalisation du plan stratégique, il est nécessaire d’adopter une perspective élargie, intégrée, donc de transformation.
Références :
[1] https://www.cymh.ca/resource-hub-files/t_change_modele_de_kubler_ross.pdf
[2] https://kroma-conseil.com/actualites/2020/11/9/article-modele-kroma
[3] https://telescope.enap.ca/Telescope/docs/Index/Vol_14_no_3/Telv14n3_Rondeau.pdf
[4] https://www.revuegestion.ca/comment-reussir-son-projet-de-transformation;
file:///C:/Users/bpeti/AppData/Local/Temp/02377-RG-gestion-changement-organisationnel-lignes-directrices-2020.pdf