A propos du sens, un article de Bernadette Petitpas
Depuis le début de la pandémie, les changements se sont multipliés et succédés à grande vitesse, plus encore que dans les années qui ont précédé. Et lorsque les demandes d’adaptation changent, nous avons besoin de nous raccrocher à quelque chose de plus stable, en l’occurrence le sens, que nous aborderons dans le cadre professionnel.
Aux fins de cette chronique, l’on définira globalement le travail, qu’il soit ou non rémunéré, comme étant l’ensemble des activités dans le cadre desquelles on exerce notre force ou utilise nos capacités pour atteindre un résultat. La notion de sens s’applique autant au travail rémunéré, quelle qu’en soit la forme, qu’au travail non rémunéré ou bénévole.
L’avantage et le défi de la notion de sens, c’est justement que sa définition varie selon les individus, et donc selon les organisations, où cette notion s’exprimera via la mission, la vision et les valeurs. Commençons notre exploration par les éléments de nature individuelle.
Sens et bien-être
Tout être partage certains besoins fondamentaux, dont :
Le besoin de diriger ses propres actions, de se sentir en contrôle et d’être en cohérence avec sa vraie nature;
Le besoin de se sentir compétent, efficace, et d’avoir une valeur ou une contribution qui dépasse notre personne;
Le besoin de connexion, d’être en relation, où l’emphase est mise sur la qualité plutôt que sur la quantité.
Ces besoins que nous partageons, nous ne visons pas tous à les satisfaire de la même manière. Ce sont ainsi nos valeurs qui viendront influer sur les comportements que nous adopterons pour satisfaire nos besoins. Voyons ainsi la représentation qu’en fait Estelle M. Morin.
Le bien-être, comme l’explique Senka Holzer, PhD réside dans la cohérence de nos comportements et actions avec nos valeurs, et dans la capacité de nos valeurs de répondre à nos besoins. Et les défis ou besoins sont nombreux.
En effet le sens que l’on accorde à notre travail, son importance relative dans nos vies, ce que l’on en attend, varie selon nos circonstances. Nos priorités peuvent s’exprimer différemment dans le temps. En effet même si nos valeurs clés demeurent les mêmes, leur importance relative peut varier, d’où des choix différents.
Par ailleurs, nous possédons tous deux types de valeurs :
Les valeurs intrinsèques, qui nous sont propres, et
Celles que nous avons adoptés parce qu’elles nous ont été inculquées par nos parents, nos pairs, ou la société dans laquelle nous évoluons.
Plus il y a concordance entre nos valeurs intrinsèques et nos valeurs acquises, plus nos comportements seront cohérents avec nos valeurs intrinsèques, et donc plus ils seront à même de contribuer à la satisfaction de nos besoins, dont le besoin de sens
Le sens est donc lié à nos besoins fondamentaux davantage qu’à nos désirs ou envies, est évolutif, et étroitement associé à notre bien-être. Pour l’organisation, il s’agira donc d’être en mesure de prendre en compte les besoins de l’individu au même titre que ceux de l’organisation. Certes, ce n’est pas nouveau. Ce qui l’est, cependant, c’est l’importance que les personnes y attachent, en lien notamment avec la pandémie de COVID-19, qui a fait ressortir les écarts entre les valeurs acquises et les valeurs intrinsèques, et donc sur les comportements adoptés. La « grande démission », comme le phénomène est appelé aux États-Unis, résulte du besoin de cohérence accru.
Est-ce à dire que la recherche de sens passe nécessairement par une démission? Pas du tout. Cela rend en revanche plus nécessaire que jamais des discussions avec chacun des employés pour explorer comment l’association peut être encore plus mutuellement bénéfique. Et comment l’organisation peut expliciter plus clairement sa raison d’être (mission) et donc le sens sous-jacent à ses décisions et actions, pour mieux retenir les employés chez qui cela résonne.
Sens et résilience
Aux fins de cette chronique, on définira la résilience comme étant la capacité de traverser une période difficile, qu’il s’agisse d’une personne ou d’une organisation.
Boris Cyrulnik, bien connu pour ses nombreux travaux sur la résilience, remarquait, en lien avec la résilience au travail, que deux éléments nuisent à la capacité d’agir avec résilience : le sens et la solidarité. Il faisait ainsi ressortir l’isolement qui caractérise bien des emplois, quand on est seul face à son écran par exemple, et ce en dehors bien sûr du télétravail volontaire. La difficulté de satisfaire le besoin de connexion vient nuire à la capacité de s’adapter à une situation difficile, et donc à la résilience. Cette solitude peut également faire perdre de vue les éléments importants qui nous donnent du sens, en ne pouvant pas voir clairement ce à quoi nous contribuons.
Dans ses travaux Cyrulnik notait également que la surspécialisation, et ses impacts sur le type de savoirs possédés, font en sorte que l’on se retrouve davantage démuni en cas de situation inconnue. En effet le fait de limiter l’éventail des situations et problématiques sur lesquelles l’on possède l’expérience positive de les avoir résolues avec succès nuit à la perception de capacité face à la nouveauté, qui est en soit un stresseur. Or on a vu plus haut que le besoin de compétence est un besoin fondamental.
Dans la notion de résilience, il y a la capacité de réagir, la capacité d’agir. Dans les périodes difficiles, la fatigue, sous toutes ses formes, est plus présente. L’effort requis pour une même geste est plus grand, et la question à savoir « pour quoi faire? » prend d’autant plus d’importance. Et c’est dans ce « pourquoi » que l’on rejoint la notion de sens. Et c’est la cohérence, ou pas, entre la réponse à cette question, les gestes demandés, les valeurs et besoins de l’individu, qui appuiera, ou pas, la capacité de résilience.
L’organisation peut agir sur les facteurs qui favoriseront une plus grande adaptation et résilience individuelle. En effet :
À propos de la notion de compétence, il est possible d’offrir formation ou accompagnement, ou mentorat. On peut aussi revoir les façons de travailler pour mieux tirer parti des capacités, forces et intérêt de chacun, et ce au sein d’une équipe. Ce faisant on favorise le fait que les personnes soient exposées à un plus vaste éventail de situations, de défis et solutions, de comportements desquels s’inspirer à leur tour.
En ce qui a trait à la notion de connexion, l’organisation peut et doit bien sûr veiller à disposer de processus qui favorisent les échanges d’information et la réalisation de projets, qu’il s’agisse de livrer des services ou un produit. À la base, cependant, il ne faut pas négliger le facteur humain, et ces connexions qui se créent et s’entretiennent dans l’informel, autour de la machine à café, de la fontaine ou d’une table à l’occasion d’un repas. Les occasions de socialisation, qu’il s’agisse des quelques minutes précédant ou suivant une rencontre plus formelle, ou encore les occasions planifiées, sont d’autant plus importantes dans un contexte de télétravail ou de travail hybride, qu’il soit volontaire ou pas.
Sens et productivité
La relation entre le sens du travail et la productivité peut être envisagée sous deux angles. En effet l’on a pu voir le facteur de protection qu’il représente, par rapport au bien-être. La perte de bien-être est d’une part associée à davantage d’ennuis de santé, dont le burnout, et à un taux de roulement. Indépendamment du contexte de pénurie de main-d’œuvre qui prévaut actuellement, ces éléments contribuent à une perte de capacité de travail ou à tout le moins d’efficacité au travail, ainsi qu’à des coûts supplémentaires. Nous avons également vu comment, bien pris en compte, le sens peut conduire à davantage de résilience. Là encore il s’agit d’un facteur de protection davantage que de création ou d’amélioration de la productivité.
De plus en plus, les personnes qui travaillent contre rémunération, qu’il s’agisse de salaire ou d’honoraires, souhaitent davantage qu’exécuter des tâches.
Outre le fait d’assurer le paiement du logement ou de l’épicerie, les personnes souhaitent que leurs efforts fassent une différence, contribuent à quelque chose qui pour elles a de la valeur, leur permette d’utiliser voire de développer leurs capacités et talents, et soit en accord avec qui elles sont. Le fameux sens donc.
Et une fois ceci offert que constate-t-on? On observe un plus grand engagement. Celui-ci ne se manifeste pas nécessairement par une augmentation des heures travaillées, et plus souvent par un souci de réaliser ce qui est important de la bonne façon et au bon moment. Certaines recherches font ressortir une augmentation de 13% de la productivité lorsque l’employé est épanoui dans son travail.
Parmi les facteurs sur lesquels l’organisation peut agir on retrouve :
Le partage de la mission et des valeurs, et l’alignement des décisions. Bien sûr l’impact variera selon le niveau de correspondance avec les valeurs de l’employé et les comportements qu’il souhaite ou est prêt à adopter pour satisfaire ses propres besoins.
On a déjà évoqué la notion de compétence, l’importance de comprendre en quoi l’on est utile. Rajoutons ici la notion de reconnaissance pour les compétences démontrées ou acquises, les comportements démontrés, les résultats atteints.
Aux éléments déjà évoqués en lien avec le besoin de connexion, ajoutons tout ce qui a trait à la communication, qui, vous le savez, ne se réduit pas à la simple transmission d’information, et englobe l’écoute et l’ouverture d’esprit, le fait de consulter, de faire participer.
Conclusion
Le sens au travail est important. Important pour chacun, car étant l’un des véhicules au travers desquels on cherche à satisfaire nos propres besoins, mais important, aussi, pour l’organisation, sa santé, sa productivité. Il n’y a pas de recette magique. Plutôt un ensemble de thèmes sur lequel l’organisation peut agir, et qui sont en lien avec de saines habitudes de gestion. La différence? L’adéquation entre qui est et ce qu’offre l’organisation, et les besoins des employés, actuels et potentiels. Et ce qu’il y a de très positif dans tout cela, c’est qu’une approche agile non seulement favorise cette adéquation, mais permet de s’ajuster plus aisément, ou moins difficilement, aux changements parfois majeurs qui ne manqueront pas d’arriver.
Pour aller plus loin
Sens au travail | Mouvement Santé mentale Québec (mouvementsmq.ca)
Estelle M. MORIN : donner un sens au travail (orius.fr)
Un travail riche de sens (cpacanada.ca)
Faire un travail qui a du sens : par où commencer, comment le trouver? (readyforchange.fr)
Et si le sens, au travail, n'était pas si important? - Le Temps
The Why Of Work: Purpose And Meaning Really Do Matter (forbes.com)
How to unleash the power of purpose at work and in life | McKinsey
The power of feelings at work (strategy-business.com)
Has the meaning of work changed forever? - BBC Worklife
Making work meaningful from the C-suite to the frontline | McKinsey & Company