La résilience : un enjeu de culture organisationnelle, par Anne-Laure Marcadet

Cet article a été écrit pour la revue La référence RH des éditions Yvon Blais (référence EYB2021BRH2386).

Même si la crise de la COVID-19 ne ressemble a priori pas à un conflit armé ou à un autre événement qu’on imagine traumatisant pour les personnes le vivant, de nombreux effets se révèlent être ceux du stress post-traumatique. L’auteure analyse le lien entre la COVID-19 et le trauma. Elle souligne également le rôle que les organisations ont à jouer pour soutenir la résilience personnelle et ce qu’elles y ont à gagner.

 INTRODUCTION

 

Cela fait désormais 20 ans que je me questionne sur le concept de la résilience du fait de mes expériences professionnelles auprès de personnes ayant vécu différentes épreuves ou différents traumatismes dans leur vie. Cela a commencé quand j’étais éducatrice spécialisée auprès de jeunes qui fuyaient les conflits au début des années 2000 (enfants-soldats de Sierra Leone, réfugiés du génocide du Rwanda…) ou encore la misère économique dans leur pays. Je me souviens encore de leurs témoignages glaçants ou de leurs visages émus quand ils découvraient l’abondance dans laquelle nous vivions. À chaque fois, les mêmes questions me revenaient :

  • Comment certaines personnes qui avaient vécu de tels traumatismes arrivaient-elles à se relever et à continuer d’avancer malgré tout, alors que d’autres y avaient laissé leur santé mentale ?

  • Pourquoi des personnes qui n’avaient pas vécu de situations a priori aussi traumatisantes (de mon point de vue) pouvaient-elles tout de même ressentir les mêmes effets à l’égard de leur santé mentale ?

Photo by Tim Mossholder

Photo by Tim Mossholder

C’est à cette époque que j’ai découvert le livre Les Vilains petits canards, de Boris Cyrulnik, qui m’a permis de mieux comprendre les mécanismes internes qui se jouaient pour permettre à certains de revivre et rebondir après certains traumatismes graves : ceux de la résilience personnelle.

Même si la COVID-19 n’est pas comparable à une situation de guerre, les conséquences engendrées par cette crise présentent toutefois les mêmes caractéristiques qu’un grave traumatisme (dépression, irritabilité, dépendances…) et ont pu générer du stress post-traumatique.

 I– LES CONSÉQUENCES TRAUMATIQUES DE LA COVID-19

Un traumatisme est décrit comme une expérience profondément angoissante ou dérangeante, et a plusieurs origines possibles. Selon Judith Herman, psychiatre spécialisée en stress post-traumatique, « les événements traumatisants sont extraordinaires, non pas parce qu’ils se produisent rarement, mais plutôt parce qu’ils perturbent la capacité d’adaptation habituelle des humains »[1].

La crise que nous traversons tous actuellement est, et sera, source de traumatisme, et donc de stress post-traumatique pour de nombreuses personnes et équipes de travail. En effet, la durée des mesures d’éloignement avec nos proches, les changements incessants relatifs au télétravail ou encore l’inquiétude concernant la fermeture des écoles et la peur de voir ses proches mourir génèrent un stress chronique qui n’est malheureusement pas près de s’arrêter en 2021. À défaut d’être momentanément intense, le stress s’installe dans la durée et pourra avoir des répercussions négatives sur les équipes de travail et les organisations.

Avant même la crise de la COVID-19, les enjeux de santé mentale représentaient déjà un coût financier non négligeable.

Une étude de 2015[2] avait déjà estimé le coût total du trouble dépressif majeur aux États-Unis à 210 milliards de dollars, un chiffre qui avait augmenté de 153 % depuis 2000. Au Canada, une étude de novembre 2020 de Morneau Shepell[3] sur les conséquences de la pandémie a démontré que, pendant huit mois consécutifs, la santé mentale des Canadiens était beaucoup plus fragile qu’avant la pandémie de COVID-19.Dans un contexte où les organisations n’ont de contrôle ni sur la pandémie et les mesures de restrictions, ni sur la résilience personnelle, est-ce que cela signifie qu’elles n’ont aucun rôle à jouer auprès de leurs employés ?

Bien au contraire.


II– LE RÔLE DES ORGANISATIONS SUR LE PLAN DE LA RÉSILIENCE DES EMPLOYÉS

L’environnement dans lequel évolue une personne a une très grande influence sur sa capacité à avancer. Les recherches s’intéressant aux déterminants du stress post-traumatique ont révélé que plus l’environnement est stable, accueillant et bienveillant, plus une personne peut se développer positivement et donc renforcer sa résilience. Dans le milieu de travail, cet environnement aura d’autant plus d’importance dans les mois à suivre que la crise de la COVID-19 n’est pas encore terminée.

Alors comment aider vos équipes (et vous-même) à garder le cap alors que les prochaines semaines s’annoncent particulièrement difficiles pour le moral des troupes ?

La réponse :  en créant un environnement et une culture de travail qui favorisent des comportements résilients, c’est-à-dire tournés vers l’avenir plutôt que le passé, vers l’optimisme plutôt que le regret, vers le positivisme plutôt que le négativisme, vers la collaboration plutôt que la compétition, vers l’apprentissage plutôt que le blâme.

En promouvant des environnements relativement stables et bienveillants, les organisations en ressentiront nécessairement des effets positifs sur, cette fois-ci, la résilience organisationnelle. En résumé : si les employés sont soutenus efficacement et positivement pour passer à travers la crise, l’organisation augmente ses chances de faire de même. En effet, une organisation vit principalement à travers les humains qui y travaillent. Quand ces derniers sont affectés négativement à grande échelle, leurs comportements s’en ressentent et influent immanquablement sur l’ensemble de l’organisation : absentéisme, baisse de motivation et d’engagement, conflits…

Comment espérer alors que son organisation traverse la crise actuelle sans trop de difficulté si les personnes qui y travaillent sont plus en mode survie qu’en mode solution ?  Cela nécessite une transformation en profondeur des façons de gérer et d’accompagner les équipes. En effet, il ne suffit pas de proposer certaines mesures, certes indispensables, comme un Programme d’aide aux employés ou des formations, mais bien de changer les relations au sein de chaque équipe. Et cela implique que les dirigeants exercent un leadership qui favorise à la fois la stabilité (le calme pendant la tempête) et l’humanité.

C’est avec cet état d’esprit que les dirigeants pourront créer une culture de la résilience dans leur organisation et incarner la transformation nécessaire. C’est dans ces conditions qu’ils pourront passer d’une situation de stress post-traumatique à une situation de croissance post-traumatique.

 

III– LA CROISSANCE POST-TRAUMATIQUE

La croissance post-traumatique se définit comme « le changement positif transformateur qui peut survenir à la suite d’une lutte avec une grande adversité »[4].

Je me suis inspirée des travaux de Richard G. Tedeschi[5], professeur émérite de psychologie à l’Université de Caroline du Nord et coauteur du livre Posttraumatic Growth (2018) pour identifier les éléments à considérer afin de bâtir une culture organisationnelle qui permet non seulement d’aider les personnes à développer leur résilience individuelle, mais également de bâtir une organisation orientée vers l’innovation et l’avenir.

Pour soutenir la résilience individuelle et organisationnelle, les dirigeants pourront notamment veiller à ce que :

  • la raison d’être de leur organisation donne du sens aux employés afin qu’ils réalisent que ce qu’ils ont vécu leur a malgré tout permis de rendre service à d’autres et de contribuer à surmonter la crise. Par exemple, une équipe fabriquant des seringues surmontera plus facilement le stress et les contraintes sanitaires s’ils savent qu’ils ont produit des articles qui ont sauvé la vie de patients malades de la COVID-19 lors de leur hospitalisation ;

  • les gestionnaires aient ou développent un style de leadership empathique leur permettant d’être réellement à l’écoute de leurs employés, de leurs collègues et d’eux-mêmes pour repérer les signes de stress post-traumatique (ex. : irritabilité, sautes d’humeur, dépression, fatigue…) ;

  • les ressources humaines soutiennent la mise en place d’espaces de dialogue et de développement pour favoriser l’expression du vécu et la régulation des émotions pendant la crise de la COVID-19. L’objectif est de reconnaître que la situation a été difficile, mais qu’il est possible de transformer les épreuves en apprentissages.

Pour ce dernier point, nous suggérons d’expérimenter une technique proposée par Lisa Zigarmi et Davia Larson.

Il s’agit de cinq questions à se poser individuellement ou en équipe pour faire le bilan de la situation actuelle et continuer d’avancer, si possible le plus positivement possible :

  •  Quelle est la plus grande perte que vous ayez connue depuis le début de la pandémie?

  • Quel est le plus grand gain que vous, votre équipe, ayez eu depuis le début de la pandémie?

  • Qu’avez-vous appris à propos de vous-même, de votre équipe ?

  • Parmi les apprentissages positifs, que se passerait-il si vous les appliquiez à l’avenir ?

  • Quels seraient les deux mots ou courtes phrases à retenir pour vous rappeler d’appliquer ce que vous avez appris ?

CONCLUSION

Soutenir ses employés pour les aider à développer leur résilience n’est pas seulement une mesure superficielle visant à renforcer l’expérience employé. Cela induit une transformation en profondeur des manières de faire et d’être des organisations en leur permettant in fine de renforcer également leur résilience organisationnelle afin d’être prêtes pour les prochaines crises qui ne manqueront pas de survenir.


LECTURES COMPLÉMENTAIRES SUR LA RÉSILIENCE

·         https://getpocket.com/explore/item/resilience-is-about-recharging-not-endurance

·         https://hbr.org/2002/05/how-resilience-works?utm_medium=social&utm_source=facebook&utm_campaign=hbr

·         https://www.revuegestion.ca/Gerer-au-temps-de-la-COVID-19-4-propositions-pour-developper-la-resilience-de-son-organisation

·         https://www.strategy-business.com/blog/The-downside-of-resilient-leadership?gko=4823b&utm_source=itw&utm_medium=itw202004521&utm_campaign=resp

·         https://www.hbrfrance.fr/chroniques-experts/2020/10/31782-3-cles-pour-organiser-la-resilience-de-son-entreprise/

·         https://www.mckinsey.com/business-functions/organization/our-insights/overcoming-pandemic-fatigue-how-to-reenergize-organizations-for-the-long-run?cid=other-eml-nsl-mip-mck&hlkid=7d69472185644dcba80c8394cc8f30be&hctky=11412961&hdpid=dc29c5c1-63e5-4992-ba7f-68f23e29362b

 

RÉFÉRENCES

[1][1] J. Herman, Trauma and Recovery: The Aftermath of Violence –from Domestic Abuse to Political Terror, New York: Basic Books (1992), 33.

* Madame Anne-Laure Marcadet, PCC, cofondatrice de Krôma Conseil et Coaching.

[2] https://www.psychiatrist.com/JCP/article/Pages/economic-burden-adults-major-depressive-disorder-united.aspx.

[3] https://www.morneaushepell.com/permafiles/93166/mental-health-index-report-canada-november-2020.pdf.

[4] https://www.annualreviews.org/doi/abs/10.1146/annurev-orgpsych-012119-044932?journalCode=orgpsych.

[5] https://hbr.org/2020/07/growth-after-trauma.

Anne-Laure Marcadet